La classe politique ferait bien de ne pas railler l’initiative à l’emporte-pièce d’un ex-joueur de football reconverti dans le cinéma. Ce qui n’était au départ qu’une provocation d’Eric Cantona, au plus fort des manifestations contre la réforme des retraites, est en train d’enfler sur le Net comme dans les conversations en ville. Pas une personne en France qui n’ait entendu parler de cette idée de «Canto» : pousser les gens à retirer leur argent de la banque afin de provoquer l’effondrement du système.
«Echo». A ce stade, on aurait tort de se préoccuper uniquement de la faisabilité du projet. L’important est davantage l’intérêt qu’il suscite. Preuve que la colère manifestée dans la rue pendant de longues semaines est loin d’être retombée. Colère contre la réforme du système des retraites mais, au-delà, contre tous les leviers politiques et économiques du pouvoir. Les altermondialistes d’Attac, vendredi, ne se privaient pas de le souligner : «Cette initiative rencontre un écho certain auprès de citoyens atterrés de voir des plans d’austérité déferler sur l’Europe au motif qu’il faudrait "rassurer les marchés financiers" et sauver les banques». Un sondage publié vendredi par Liaisons Sociales Magazine l’atteste : plus d’un Français sur deux (53%) se dit encore «en colère» à l’égard de la réforme des retraites. Et ce ne sont pas les propos tenus vendredi par le secrétaire général de la CGT après son entretien avec la patronne du Medef qui vont calmer le jeu : «Aujourd’hui, il n’y a pas de réponse à la hauteur de l’exaspération et du mécontentement social qui existent dans les entreprises» a affirmé Bernard Thibault.
Exutoire. L’affaire Cantona, à cet égard, est un parfait exutoire. Nombre d’intellectuels et de syndicalistes l’avaient d’ailleurs prévu à la fin du mouvement social : la contestation désormais risque de se manifester sous d’autres formes. «Nombreux sont ceux qui souhaitent agir ici et maintenant pour montrer aux gouvernants qu’ils refusent ces politiques irresponsables» poursuit Attac. Pour le mouvement altermondialiste, «le temps est venu d’agir pour des banques citoyennes».
Postée sur Internet le 6 octobre, la proposition d’Eric Cantona n’a d’abord été reprise que par les blogs sportifs, qui n’y voyaient qu’une blague de plus de la part de l’ancien footballeur. Il a fallu presque un mois et demi avant que le mouvement prenne de l’ampleur. Un collectif franco-belge a alors adopté l’idée de Cantona, fixé une date et créé un groupe Facebook puis un site Internet, bankrun2010.com, en sept langues.
«Révolution ! Le 7 décembre, on va tous retirer notre argent des banques !»
Il réunit déjà près de 58 000 personnes qui se sont engagées à retirer leur argent «certainement» ou «peut-être».
Les gens vont-ils agir ? A part Cantona qui a assuré à Libération qu’il serait le 7 décembre à la banque, difficile d’en être certain. Se mettre «en attente» d’un événement sur Facebook est rarement le signe d’un engagement.
Cynisme. Sur Twitter, si les mots «Cantona» ou «bankrun2010» ne sont pas encore les plus discutés, le flot de remarques sur le sujet est continu, plusieurs par minute. Surtout, il est dans toutes les langues. Les internautes sont souvent amusés, parfois critiques. Une blague un peu cynique revient souvent : «Je veux bien retirer mon argent de la banque, mais je n’ai rien sur mon compte.» Selon Google trends, l’outil de mesure des recherches Google, les mots «Cantona» et «bankrun» connaissent des pics depuis fin novembre.
Avec la France, c’est dans les pays durement touchés par la crise que le terme a le plus de succès : l’Espagne, l’Irlande, la Belgique, le Portugal ou le Royaume-Uni. Il manque encore la Grèce.
liberation.fr Par Quentin Girard et Alexandra Schwartzbrod 04/12/2010