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Racine, pas mort

La scène se passe dans les jardins du Château Belle vue, à Berlin.
Angela von Mecklemburg et Nicolas de Neuilly se sont discrètement
éclipsés de la réception offerte par le roi de Prusse. On entend, au
loin, les accents du quatuor de Joseph Haydn.

Nicolas :
Madame, l'heure est grave : alors que Berlin danse
Athènes est en émoi et Lisbonne est en transes.
Voyez la verte Erin, voyez l'Estrémadoure
Entendez les Romains : ils appellent au secours !
Ils scrutent l'horizon, et implorent les Dieux.
Tous les coffres sont vides, et les peuples anxieux
Guettent de vous, Madame, le geste généreux !
De leur accablement ils m'ont fait l'interprète :
Leur destin est scellé, à moins qu'on ne leur prête
Cet argent des Germains sur lesquels vous régnez.
Cette cause est bien rude, mais laissez-moi plaider....

Angela :
Taisez-vous Nicolas ! Je crois qu'il y a méprise
Folle étais-je de croire à une douce surprise ;
En vous suivant ici, seule et sans équipage,
Je m'attendais, c'est sûr, à bien d'autres hommages !
Mais je dois déchanter. Et comme c'est humiliant,
De n'être courtisée que pour son seul argent !

Nicolas :
Madame, les temps sont durs et votre coeur est grand.
Vos attraits sont troublants, mais il n'est point décent
D'entrer en badinage quand notre maison brûle !
Le monde nous regarde, craignons le ridicule !
Notre Europe est malade, et vous seule pouvez
La soigner, la guérir et -qui sait ?- la sauver !
Nous sommes aujourd'hui tout au bord de l'abime.
Vous y gagnez beaucoup; soyez donc magnanime !
Les Grecs ont trop triché ? Alors, la belle affaire !
Qu'on les châtie un peu, mais votre main de fer
Est cruelle aux Hellènes, et nous frappe d'effroi !

Angela :
J'entends partout gronder, en Saxe, Bade ou Bavière,
L'ouvrier mécontent, le patron en colère.
Ma richesse est la leur, ils ont bien travaillé.
L'or du Rhin, c'est leur sueur et leur habileté.
Et vous me demandez, avec fougue et passion
De jeter leur fortune au pied du Parthénon ?
Ce serait trop facile et ma réponse est non !

Nicolas :
On ne se grandit pas en affamant la Grèce,
En oubliant Platon, Sophocle et Périclès !
Nos anciens nous regardent, et nous font le grief
D'être des épiciers et non pas de vrais chefs !
Helmut Kohl est furieux et Giscard désespère.
Un seul geste suffit, et demain à Bruxelles
Desserrez, je vous prie, le noeud de l'escarcelle !

Angela :
Brisons là, je vous prie, la nuit est encore belle
Votre éloquence est grande et mon âme chancelle
Mais si je disais oui à toutes vos demandes
Je comblerais la femme, et trahirais l'Allemande !

(Ils s'éloignent, chacun de leur côté)

Commentaire
Pour jouer sur le contraste entre le classicisme de la forme et l'acuité
du débat, l'auteur inconnu de ce chef d'oeuvre du début du XXIe siècle a
pris quelques licences poétiques, non seulement envers la métrique mais
aussi envers la réalité, en donnant à ses personnages une profondeur
psychologique que les personnalités historiques n'avaient pas, selon les
témoignages de l'époque.

Ma principale source est le journal que le duc de Sainte Simonie -certes
un peu persifleur- tenait pendant ces mois fatidiques. Comme tous les
contemporains, unanimes, il affirme que le petit Nicolas ne pouvait
tenir de tels propos, ne sachant pas où est l'Estrémadure ni qui furent
Platon et Sophocle, et qu'il était certainement incapable de distinguer
un quatuor de Haydn d'avec la Chevauchée des Walkyries.

Le soir de la première, à la date du 19 août, le duc de Sainte Simonie
nota : "Quant aux talents que lui suppose la phrase "si je disais oui à
toutes vos demandes, je comblerais la femme", tout laisse à croire que
c'est une basse flatterie."

Questions sur le texte :
- Le personnage de la duchesse de Mecklenbourg : montrez le contraste
entre ses attentes et le discours que lui tient le vicomte de Neuilly.
Comment esquive-t-elle la demande ? Pensez-vous que sa réponse sur les
ouvriers et les patrons soit sincère ? Pourquoi ?
- Le discours du vicomte : montrez par quel artifice il dissimule les
intérêts qu'il défend véritablement. Choisissez le mot propre, en style
soutenu et en style familier : diplomatie, rouerie, feinte, foutage de
gueule, enculation.
- Complétez la phrase suivante : "Si les ..... volaient, il serait chef
d'escadrille".
- La tension entre les personnages : comparez la scène au duo de
Rodrigue et Chimène. A quel chapitre de "La Princesse de Clèves" ce
dialogue fait-il écho ?
- Comment cette confrontation prépare-t-elle le suicide général à la
dernière scène de la pièce ? Un autre dénouement aurait-il été possible
?
- Le style de cour et l'unité de temps, de lieu et d'action : les règles
classiques sont-elles observées ? Comment évolue le cours des actions ?
A combien l'unité ?
- Cette scène, l'acmé de la pièce, contient-elle une critique implicite
du conspirationnisme ? Où est-elle sous-entendue ? Comment pouvez-vous
le démontrer ?
- Comparez les personnages ainsi dépeints à d'autres personnalités
marquantes de nôtre époque. On s'appuiera sur quelques citations
d'auteurs contemporains, par exemple l'une de CB, relatée par le Canard
Enchaîné : "Tant qu'on ne me demande pas qui est le père...", ou l'autre
de Claire Bretècher : "On ne peut quand même pas faire une prise de sang
à tous les GO du Club Med".
- Quel lien existe-t-il à votre avis entre cette tragédie et l'aphorisme
du grand philosophe et homme politique BHL : "On ignore encore si c'est
Obama ou Ben Laden qui fut le père de l'enfant de Rachida, mais le
second étant mort depuis une dizaine d'années, la première solution
paraît la plus vraisemblable. Encore que la technique du froid fasse
désormais des miracles." ?
- Que pensez-vous de la note de Sainte Simonie dans son journal intime
? Cette note pourrait-elle être dégradée ? Y a-t-il une ambigüité sur
"Lagarde" ? A votre avis, sous le pseudonyme de Lagarde, faut-il
imaginer une femme, un homme, ou une personne ayant librement choisi son
orientation sexuelle ? Commentez et discutez selon votre expérience
personnelle.
- Quelle heure est-elle ?

Toutes ressemblances avec des personnages connus et contemporains ne
seraient que coïncidence.
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