JO 2010 Gailhaguet :
"Joubert a triché avec lui-même"
Didier Gailhaguet n’est pas tendre avec Brian Joubert. Auteur de deux énormes fautes lors du programme court, le patineur français semble bien avoir perdu toute chance de médaille. Le président de la Fédération des sports de glace estime que le Poitevin
a "triché avec lui-même" en refusant de se préparer correctement.
Mais il entend soutenir Joubert jusqu’au bout.
Comment Brian vit-il cet échec ?
Pas bien. C’est une contre-performance. C’est même plus qu’une contre-performance, c’est une humiliation. Ce n’est pas facile surtout quand on dit, on pense et on répète que c’est l’objectif d’une vie. Autant hier (mardi) il ne m’avait pas semblé avoir ressenti l’humiliation, autant aujourd’hui, c’était plus cuisant. Je l’ai trouvé bizarre, dur à décrire.
Cet échec était-il imaginable ?
Je pense que Brian a été surpris par l’adversité qui était de très haut niveau, par un enjeu qu’il surdimensionne et qui l’a fait patiner à 30% de ce qu’il sait faire. Brian n’est plus un gamin insouciant prêt à bouffer tout le monde. Aujourd’hui, il n’est plus ce qu’il était. Il n’a plus ce petit grain de folie. Quand on a fait un bon travail, on a gagné de la confiance. Or là, il n’était pas confiant parce qu’il n’a pas assez travaillé comme il aurait dû le faire de longue date. L’excellent travail qu’il fait depuis un mois et demi est largement insuffisant pour lutter à ce niveau de performance. Sur ce court, il n’a pas subi, il y est allé à reculons.
Quand a-t-il perdu les Jeux ?
Il y a bien longtemps. C’est le constat qu’on a fait ce matin. En toute honnêteté, il le reconnaît. Il n’a pas été rigoureux. Ce matin, je lui ai dit : ’On ne continue pas comme ça. On t’a proposé de partir travailler pendant six à huit mois avec Brian Orser, entraîneur de Yu-Na kim, et Kurt Browning, deux icônes du Canada. Tu as refusé. Tu as fait tes choix, on a eu du mal à les digérer.’ Ce n’était pas un sacrifice énorme. On aurait pu négocier des périodes de retour. Il n’a pas voulu.
"Avec affection, je dirais que c’est un petit con"
Est-ce l’unique raison de ce résultat ?
Il est en déficit de travail parce qu’il bricole de manière artisanale à Poitiers, que le niveau monte en qualité et en quantité sans attendre qu’il se décide à bosser en conséquence, et parce qu’il n’est pas capable de bosser six heures par jour. Avec beaucoup d’affection, je dirais qu’il est devenu un petit con ! Il me semble aussi un peu cramé. Alors, a-t-il besoin de se ressourcer ? A-t-il besoin de ne pas aller aux championnats du monde dans un mois ? A-t-il besoin de faire un break ? Va-t-il rapidement arrêter de n’écouter que lui-même, de ne faire confiance qu’à lui-même ? Je ne sais pas.
Que souhaitez-vous qu’il fasse à l’avenir ?
J’aimerais qu’il soit capable sur une période d’été de partir à l’étranger dans des stages, et ensuite, de manière fréquente, qu’il soit ouvert au monde parce qu’on n’a pas chez nous l’encadrement pour amener des gens à ce niveau.
Brian comprend-il votre message ?
Il m’a lui-même répondu : ’Je me suis trompé, je me leurre, je sous-estime la charge de travail, je me surestime’. Il en a déduit qu’il fallait désormais mieux travailler en équipe avec la Fédération plutôt que d’essayer de prouver au monde entier qu’il avait raison sur tout et tout le temps. C’est vrai que
c’est une crise d’adolescence tardive et elle est vraiment mal tombée.
Il a pris conscience qu’il avait triché avec lui-même. On a été fort dans la discussion, on est allé loin. Il n’a pas respecté les règles du comportement d’un athlète de haut niveau, déjà en ne voulant pas s’exiler de temps à autre. Deuxièmement, en ne voulant pas appliquer la quantité de travail nécessaire. Et troisièmement, en ne participant pas à assez d’épreuves.
Il faut qu’il se remette en cause sur des épreuves de plus faible niveau dans lesquelles il va rôder ses gammes, se préparer de nouveau.
Allez-vous continuer de le soutenir ?
Il est adorable. C’est pour ça qu’on ne va pas le laisser tomber. Brian est un gars bien. Il fait son mariole par moment, mais fondamentalement, c’est un type bien. On ne peut pas le laisser tomber comme ça. C’est hors de question. Mais à partir de maintenant, il n’y aura plus de contrat moral entre nous. Il y aura un contrat d’objectif, des résultats à obtenir. Désormais, on ne payera plus avant mais, après."
AFP Reuters jo-vancouver-2010.francetv.fr 18/02/2010