Un nouveau livre sur les services secrets britanniques, révèle des détails sur la vie de Wilfred Dunderdale, l’homme qui aurait inspiré le personnage de James Bond à Ian Fleming. Ce livre rapporte également que, selon le chef du MI6 en 1915, «la meilleure encre invisible est le sperme» (ce chef s'appelait par ailleurs M. Cumming, «cum» signifiant «jouir» en argot anglais).
Le sperme est-il réellement la meilleure encre sympathique?
Non. Ce n’est pas la faute du sperme, mais celle du concept d’encre invisible en général. L’encre invisible est une technique dynamique, qui évolue en permanence: une encre invisible peut être très difficile à détecter mais trop difficile à fabriquer, ou trop rapide à se détériorer, ou trop dangereuse à manipuler. Une encre invisible n’est «la meilleure» que jusqu’à ce que trop de gens découvrent comment la rendre visible. Le sperme était peut-être la meilleure encre en octobre 1915, mais si les Allemands s’apercevaient en novembre qu’il suffisait de l’exposer à des rayonnements ultraviolets pour que le document dévoile son message, voilà le sperme chassé de sa première place.
Il existe des centaines d’encres invisibles qui ont toutes nécessairement un agent révélateur: si elles n’en avaient pas, elles seraient illisibles par les ennemis, certes, mais aussi par les alliés!
Si le chef des services secrets était si excité par le sperme, c’est parce qu’il résistait au principal test de l’époque: les vapeurs iodées. Ce test, où il suffit de passer un document au-dessus de vapeurs d’iode pour voir apparaître des messages, fonctionnait avec presque toutes les encres: quand on applique un liquide sur un papier, ses fibres se transforment. La vapeur d’iode «remarque» ces changements: si l'encre sympathique est à base de jus de fruit ou de lait, la vapeur se dépose partout, sauf là où l'encre est présente; si l'encre est organique, comme c'est le cas avec la salive par exemple, elle va se coller aux parties du papier modifiées, faisant ainsi apparaître le message. Toute encre invisible qui n’était pas repérée par la vapeur iodée tenait donc du trésor de guerre.
C’est le cas du sperme, qui avait en outre plusieurs avantages: les espions pouvaient s'en procurer facilement, il n'est pas compliqué à extraire et n'est pas non plus à même d’attirer l’attention en étant transporté dans des récipients suspects, puisque c’est un liquide discrètement stockable (pour les hommes uniquement, évidemment). Mais il avait également ses défauts: d'après l'auteur du livre, les services secrets avaient dû rappeler à un de leurs agents de n'utiliser que de l'encre «fraîche» lorsque des correspondants ont commencé à remarquer une odeur inhabituelle... Et même s’il n’est pas détectable à la vapeur iodée, une lampe à ultraviolets –qui existe depuis 1904 et qu’on trouve aujourd'hui facilement dans les «kits d’espionnage»– suffit à dévoiler sa présence.
L’explication bonus: Comment est-ce que les espions arrivent à écrire s’ils ne voient pas ce qu’ils écrivent? Certaines encres sont visibles pendant un certain temps avant de subir une réaction chimique qui les estompe. Pour les autres, les espions n’ont qu’à s’appliquer… et leurs collègues ont intérêt à bien les déchiffrer!
Cécile Dehesdin
L'explication remercie Mark Stout, du Musée international de l'espionnage de Washington et Frédéric Dupuch, directeur de l'Institut national de police scientifique et co-auteur de Nos Experts.
slate.fr 30/09/2010